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L'éducation positive, nouveau dogme parental - Libération - 31 mai 2015

31 Mai 2015 Publié dans #Presse

ENQUÊTE

L’ÉDUCATION POSITIVE, NOUVEAU DOGME PARENTAL

Par Sonya Faure— 31 mai 2015 à 22:06 (mis à jour à 22:06)

L’éducation positive, nouveau dogme parental

Mais pourquoi diable a-t-on toujours tendance à stimuler le cerveau bas de nos enfants alors que nous ferions bien de mobiliser leur néocortex ? Pourquoi donner des ordres quand on peut parler à leur intelligence émotionnelle ?

Une floraison de livres est là pour aider les parents. Pas seulement des livres : des stages, des conférences, des ateliers. Tout un mouvement, celui de «l’éducation positive», en plein essor depuis une poignée d’années - et un filon sûr pour les maisons d’édition.

La parentalité positive ? «Fournir aux enfants des ressources plutôt que des limites», écrit Isabelle Filliozat, l’une des papesses du mouvement, qui l’a importé des Etats-Unis. Cette tendance s’appuie sur un mélange inédit : elle s’abreuve des récentes découvertes en neurosciences tout en revendiquant bon sens et pragmatisme. Elle flirte avec la pédagogie tendance Montessori et s’inscrit dans la vogue du développement personnel. Mais elle ne se réfère jamais, ou presque, à la psychanalyse.«On est à des années-lumière de Dolto pour qui la poupée d’une petite fille est un substitut phallique… Quand on est parent, on veut juste développer les aptitudes au bonheur de son enfant», assure ainsi Catherine Meyer, éditrice aux Arènes.

Cette maison d’édition - qui publie la prestigieuse revue XXI mais aussi le livre règlement de compte de Valérie Trierweiler - vient justement de lancer une collection d’ouvrages consacrés à la parentalité positive. Le premier de la série, le Meilleur pour mon enfant : la méthode des parents qui ne lisent pas les livres d’éducation, d’abord tiré à 7 000 exemplaires, a dû être réimprimé à 3 000 exemplaires quelques semaines seulement après son lancement, en avril. Les éditions Jean-Claude Lattès avaient ouvert la voie dès 2012 avec leur propre collection de parentalité positive - un succès. Autre preuve de l’engouement, côté kiosque cette fois : un nouveau magazine, Psychologie positive, vient de sortir.

Dans ces manuels d’éducation new-look, reviennent sans cesse la«bienveillance» et l’empathie. Les ordres et les menaces sont bannis. Les parents doivent se «reconnecter» aux émotions de leur progéniture. On parle du «job de parent», qui nécessiterait techniques et compétences.

Celles-ci sont extraites des neurosciences, qui donnent une légitimité scientifique nouvelle à des préceptes pédagogiques somme toute pas si inédits. Pas un livre qui ne s’appuie sur des tests scientifiques aux impressionnantes cohortes ou ne décrive de nouvelles connexions neuronales révélées par IRM. «Des chercheurs ont compilé les heures de coucher de plus de 10 000 enfants. Conclusion : ceux qui n’avaient pas d’heure de coucher régulière à 3 ans avaient plus tard de moins bons résultats à des tests de lecture, maths et repérage dans l’espace que ceux qui se couchaient à heure fixe», rapporte ainsi la journaliste Guillemette Faure, dans le Meilleur pour mon enfant.

La plasticité du cerveau est le principe de base sur lequel s’appuie la psychologie positive. Le postulat est simple : chaque interaction avec un enfant a un impact sur ses neurones. Un cerveau n’est jamais définitivement figé, rien n’est donc joué d’avance, les parents ont des leviers pour influer sur les réactions et l’avenir de leur enfant.«L’imagerie cérébrale nous montre que donner un ordre à un enfant stimule son amygdale et le fait entrer en mode guerrier. La réaction de stress est la même que celle de nos ancêtres face aux dangers qui les assaillaient», explique par exemple Isabelle Filliozat.

Un retour au biologisme ? «Oui, mais le biologisme n’a rien d’homogène, prévient le sociologue Sébastien Lemerle (1). Si certaines personnes croient encore qu’il existe un gène de la pédophilie, un biologisme d’un tout autre type s’est développé depuis une dizaine d’années, auquel appartient notamment l’éducation positive : libéral, centré sur l’individu, il est plus apte à offrir des discours optimistes.» A une époque où chacun a l’impression de perdre prise sur le monde qui l’entoure, cette philosophie «nous donne l’impression que pour notre vie, au moins, on est aux commandes», estime Guillemette Faure.«Contrairement à la psychanalyse qui nous définit beaucoup par nos liens, la parentalité positive nous définit par nos expériences.»

Tant pis si les psys relativisent grandement la nouveauté de l’éducation positive. «La plasticité cérébrale ne fait que démontrer ce que les grands pédagogues ont dit depuis un siècle : les relations entre adultes et enfants ont un lien avec leur capacité de développement», note ainsi Sylviane Giampino, psychanalyste, psychologue pour enfant (2). Selon les promoteurs de la pédagogie positive au contraire, la découverte de ce«nouveau continent» va permettre de comprendre enfin. D’agir efficacement. «Grâce aux neurosciences, à l’heure actuelle, on sait exactement ce qu’il faudrait pour que l’humain se développe bien», s’emballe la pédiatre Catherine Gueguen, une autre référence de l’éducation positive, dans une vidéo vue 6 900 fois sur Youtube.

La vogue de l’éducation positive passe par les réseaux sociaux. L’éditrice des Arènes, Catherine Meyer, l’a bien compris : «Les parents ont pris le pouvoir . De même que les gens font des "tutos" sur Internet pour montrer aux autres comment réparer un évier, ils s’échangent leurs expériences sur l’éducation.» Dans les manuels de pédagogie positive, même les scientifiques se présentent avant tout comme parents débordés. «Dans ces moments-là, alors que vous devez (encore !) extraire un raisin sec d’une narine, vous ne pouvez rien espérer d’autre que survivre», admet ainsi le psychiatre américain Daniel Siegel, auteur de le Cerveau de votre enfant, présenté comme «la bible de l’éducation positive» par les Arènes (3). Et dans son manuel, Guillemette Faure ne se pose pas en experte, mais en «mère célibataire», et même «pas tous les jours sûre d’être une bonne mère». Plus encore que les neurosciences, la légitimité que cherchent les lecteurs est celle du «vécu». «Savoir que d’autres se sont plantés et qu’ils s’en sont sortis est le plus important, explique le sociologue Nicolas Marquis, qui a étudié le marché des ouvrages de développement personnel (4). Avec ces livres et ces conférences, ils s’inscrivent surtout dans une communauté (on n’est plus tout seul), et dans une histoire (il y a un après, ça ne sera pas toujours comme ça).»

Pour la psychanalyste Geneviève Delaisi de Parseval, auteur de l’Art d’accommoder les bébés, l’éducation positive s’est engouffrée dans le reflux de la psychanalyse. «Pendant des années, les parents étaient sous l’influence de Françoise Dolto qui leur disait à la radio s’il fallait ou non se promener tout nu devant ses enfants. Mais il n’y a pas eu de Dolto bis. Chaque psychanalyste a dit ce qu’il pensait lui, comme s’il était dans la droite ligne de ce que disait Freud. La psychanalyse s’est discréditée elle-même.»

Les manuels d’éducation positive sont souvent émaillés de trucs, d’exercices et de dessins explicatifs. Dans le Cerveau de votre enfant, chaque «leçon» est illustrée d’une petite BD. En haut, une mère (le plus souvent) au visage peu avenant représente la mauvaise attitude :«Habille-toi ou tu seras punie!» En bas, une mère souriante s’exclame :«Et si on jouait à un jeu ? Tu vas sauter trois fois sur place et après, on mettra ton pantalon ensemble !»

Dans le droit fil de la littérature de développement personnel, ces manuels portent un discours centré sur l’individu. Version positive : «Si on ne va pas bien, il est à notre portée d’aller mieux, en travaillant sur soi», paraphrase le sociologue Nicolas Marquis. Versant moins enthousiasmant : «On donne des outils aux gens pour qu’ils s’en sortent. Si ça ne marche pas, tant pis pour eux», craint Sébastien Lemerle. Ce sociologue y voit un «discours de consolation pour survivre dans un monde angoissant» : «La psychanalyse est culpabilisante, l’éducation nationale en échec. Des parents trouvent à s’opposer à l’école en s’appuyant sur le discours scientifique des neurosciences. Ce qui montre aussi qu’ils sont un peu moins dociles face à l’institution.»

«Les parents qui lisent ces livres veulent être actifs, ils tentent de trouver des repères, des outils, estime aussi la psychanalyste Sylviane Giampino. J’y vois au fond un sursaut contre la vague de la performance, de l’excellence. Je ne suis donc pas dérangée par ces publications… sauf quand elles conseillent aux parents de sourire même quand ils n’en ont pas envie, sous prétexte que les muscles du visage envoient un signal au cerveau qui générera des endorphines et donc du bien être… Ou quand le "coaching" amène ceux qui ne tiennent pas l’application de ces techniques à se vivre en échec.»

Derrière la neuroscience, il y a dans la pédagogie positive un peu de magie. «La croyance dans la capacité de transformer la réalité par une série de techniques, de trouver un "nouveau moi", confirme Nicolas Marquis. Le fantasme de pouvoir vivre sans colère, de réussir à s’aimer soi-même grâce à des techniques, comme en collant des Post-it sur son frigo.» Dans un manuel, on a trouvé cette formule : «C’est l’ocytocine qui nous permet d’aimer.»

(1) Le Singe, le Gène et le Neurone. Du retour du biologisme en France, Sébastien Lemerle, PUF.

(2) Nos enfants sous haute surveillance, Sylviane Giampino, Albin Michel.

(3) Le Cerveau de votre enfant, Dr Daniel J. Siegel et Tina Payne Bryson, les Arènes, mai 2015.

(4) Du bien-être au marché du malaise, la société du développement personnel, Nicolas Marquis, PUF.

Article : http://next.liberation.fr/vous/2015/05/31/l-education-positive-nouveau-dogme-parental_1320312

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