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Éducation nationale : non, ma fille n’est pas nulle ! - Madame LeFigaro - 13 octobre 2014

13 Octobre 2014 Publié dans #Presse

Éducation nationale : non, ma fille n’est pas nulle !

Par Sophie Carquain | Le 13 octobre 2014

 

Dès la maternelle, les enfants sont jaugés, jugés. Et les parents, stressés, culpabilisés… Un effet de sape que raconte, avec mordant, Nathalie Kuperman dans son roman, la Loi sauvage. Et si aux paroles blessantes on opposait la pédagogie bienveillante ? Analyse d’experts.

« Votre fille, c’est une catastrophe. » Ainsi débute la Loi sauvage (1), le nouveau roman de Nathalie Kuperman. Une gifle verbale assénée par la maîtresse qui fait son chemin et déstabilise la mère… à la limite de la folie ! « Hyperactif », « agressif », « passif », « mal dans sa peau », « lambin », « suiveur »… Lâchés parfois avec désinvolture par une maîtresse ou un enseignant, ces mots pièges nous foudroient avec la violence d’un coup de règle sur les doigts ! Pourquoi donc y sommes-nous si vulnérables ? Est-ce dû au rapport maître-élève ? « C’est bien plus que ça, répond la psychanalyste Sylviane Giampino (2). Avec l’insécurité ambiante, la peur de l’avenir, l’école est surinvestie comme jamais par les parents, et le mot du maître est gravé dans du marbre. L’école ? C’est la statue du commandeur ! » affirme la psychanalyste.De l’autre côté, l’institution scolaire, qui se pense « peu écoutée », n’y va pas de main morte.

« C’est justement parce que notre parole est dévalorisée que, parfois, nous employons des mots excessifs, souligne l’enseignante Mara Goyet (3). Nous cherchons à nous montrer professionnels, et donc un peu froids, nous employons des termes un peu rudes, quand ils ne sont pas opératoires. » Et l’enseignante de s’en désoler : « J’ai compris la nocivité de ces étiquettes le jour où j’ai eu des enfants. » Quel parent supporte, en effet, de voir son bambin réduit à un mot ? Cette manie serait révélatrice d’un travers de notre société, qui note, chiffre, désigne ; une société obsédée par l’élève parfait, discret mais sociable, tranquille mais pas inhibé… Un doux fantasme, un « enfant imaginaire », adapté, normé, assure Sylviane Giampino, autour duquel gravitent les autres, c’est-à-dire la majorité des enfants. « On a pu nous dire, quand elle était en petite section, qu’Agathe “n’était pas d’un tempérament de leader”, se souvient Cécile. Ce mot m’a blessée : j’ai eu le sentiment que, à trois ans et demi, elle se trouvait du côté des “losers”. »

 

"L’école subit la pression sociale de la conformité"

 

L'enfant est vraiment le miroir de la societé : elle infantilise les adultes et "adultise" les enfants », estime la psychanaliste Sylviane Giampino.

Loser à trois ans ? On en rirait si ça n’était pas dramatiquement révélateur : « L’école subit la pression sociale de la conformité », dénonce pour sa part la romancière Marie Desplechin. D’où l’irruption de ce nouveau lexique, pioché d’un côté dans le monde de l’entreprise, et de l’autre dans un dictionnaire de psychanalyse mal digéré. « Même en petite section de maternelle, renchérit Sylviane Giampino, les mots employés ont perdu de leur bienveillance. Les expressions « il fait des bêtises » ou « il est coquin » ont disparu au profit des plus doctes : « se montre agressif », « contrôle mal ses émotions », voire « a un comportement déviant ».

Mais les profs ne sont pas les seuls en cause… « Vous seriez étonnés d’entendre les mots de certains parents… Ils se flagellent, prétendent que leur enfant n’est pas très intelligent ou qu’il est nul en maths, tout comme eux l’étaient, s’insurge Mara Goyet. Ce sont aussi les parents qui sont obsédés par l’enfant parfait et qui ne laissent plus rien passer », estime la prof écrivain. Or, méfions-nous… Ces petites gifles verbales font des dégâts. Pour Sylviane Giampino, l’effet est celui de la pythie chez les Grecs : ces flèches empoisonnées désignent, collent une étiquette. « Et, conformément à la prophétie autoréalisatrice, elles vont fabriquer ce qu’elles dénoncent, précisément, estime la psy. Ces petites phrases sont comme un grain de sable autour duquel vont se cristalliser les événements. Pour fabriquer ce qu’on appelle une perle noire. »

 

La petite phrase assassine piège l’enfant

 

« Le jour où, raconte Charlotte, face à l’absentéisme répété de mon fils en seconde, et son attitude prostrée en cours, le conseiller d’orientation m’a dit : “Je me demande s’il ne fait pas un début de schizophrénie”, j’ai d’abord pensé qu’il faisait son possible pour nous aider. Sans doute était-il animé d’une certaine bonne volonté. Mais de jour en jour la phrase a eu un effet de sape. Dès qu’Axel avait une attitude un peu particulière, le mot me revenait en tête, et je me mettais à pianoter sur Doctissimo pour vérifier qu’il ne présentait pas les symptômes décrits. Même si, aujourd’hui le doute est levé, j’en ai été très perturbée. »

Car ce sont les mères qui prennent de plein fouet ce zéro pointé. Comme une petite fille prise en faute. Devant un enfant en échec, n’est-ce pas toujours elle qui trinque ? « Le premier coup de fil, c’est toujours à la mère, rappelle Daniel Pennac dans Chagrin d’école (éd. Gallimard). Le père vient après, quand il vient. » « Il faut voir dans quel état elles sont avant un rendez-vous avec l’école. Elles ont la boule au ventre », s’alarme Sylviane Giampino. Comme si elles avaient cinq ans ? C’est ce que l’on ressent quand, à la demande de l’enseignant, on cale son mètre soixante-dix dans une petite chaise en bois qui nous ravale directement au statut de sale gamine en socquettes. Bien sûr, tout cela n’est pas fait intentionnellement.

« L’école est vraiment le miroir de la société : elle infantilise les adultes et “adultise” les enfants », affirme la psychanalyste. Si pour les adultes ça n’est pas très grave, c’est plus toxique pour les enfants. Car la petite phrase assassine piège l’enfant. Comme s’il ne pouvait plus évoluer, comme si on lui refusait ce droit inhérent à l’enfance : celui de prendre le temps, de tâtonner, de procéder par « essai-erreur ». En un mot, de grandir.

(1) Éditions Gallimard.
(2) Coauteur, avec Catherine Vidal, de Nos enfants sous haute surveillance. Évaluations, dépistage, médicaments…, aux éditions Albin Michel.
(3) A publié Jules Ferry et l’enfant sauvage, Sauver le collège, aux éditions Flammarion.

 

Source : http://madame.lefigaro.fr/societe/education-nationale-non-fille-nest-pas-nulle-131014-984498

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